Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
UN DIVORCE

— Voyons, Ferdinand, voyons ! Depuis un an que j’habite Lausanne, et après avoir fait quelques fugues chez nos voisins de Berne et de Genève, je sais à quoi m’en tenir sur tous ces grands airs. Ce que vous appelez légèreté française, mon cher, c’est tout simplement l’esprit de critique et de réflexion que vous n’avez pas. L’esprit seul s’agite ; la matière resterait immobile sans lui.

— Non, c’est que vous ne croyez à rien, tandis que nous sommes attachés à des bases solides…

— Que vous êtes résolus à ne pas même examiner. Franchement, vous êtes pour moi une énigme. Votre réforme, une chose immense assurément, c’est une source dont le courant gèle. Et de tout ainsi. Quelques-unes de vos institutions sont admirables, mais l’esprit qui les créa s’en est retiré ; vous ne parlez que de la Bible et de l’Évangile, mais vous êtes moins chrétiens que nous. Vos mœurs et vos lois ont réalisé une alliance étrange : vous avez pour âme le despotisme, et pour corps la liberté.

— Bon instrument qui vous manque, et que vous ne savez jamais garder, interrompit Ferdinand.

— Parce que nous la voulons plus vraie, reprit Camille avec feu. Votre liberté est étroite, sèche, aussi froide que ces grandes Alpes qui nous contemplent là d’un air écrasant. Ici — poursuivit-il en parcourant de l’œil la campagne peuplée de villas, qui descend ondulée jusqu’aux bords du lac, et Lausanne, dont les toits étincelaient de l’autre côté du ravin, — ici, partout la barrière, l’enclos, la borne ; la propriété jalouse, morcelée, hargneusement défendue ; rien pour le poëte, rien pour le pauvre ; un ordre froid, égoïste, et çà et là, à l’entrée des sentiers les plus séduisants, ce poteau caractéristique, édicteur de menaces contre tout promeneur indiscret, et