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UN DIVORCE

— Oui.

— Eh bien ! il se fait tard. La nuit va tomber, il faut que tu retournes avec tes parents. Où sont-ils ?

— Là-bas, dans ce village, dit-elle en le désignant du doigt ; ils vont dans les maisons pour vendre, et puis se chauffer un peu. Mais il ne faut pas le dire, ajouta-t-elle à voix basse, on voudrait tant pouvoir se reposer !

— Pauvre fille ! dit Étienne en la contemplant avec émotion.

Elle était bien pauvre, en effet, mais cependant éclatante de jeunesse à travers ses haillons ; et l’admirable contour de ses joues fermes et vives eût arrêté le regard d’un peintre. Ce n’était point une bohémienne effrontée, mais seulement une pauvre créature sans feu ni lieu, une petite plante sauvage, de race germanique, emportée par quelque coup de vent hors de la vie civilisée, et qui, malgré tout, sur le sol fertile et pierreux du grand chemin, avait crû, gardant son parfum.

— Tu dois avoir bien froid à marcher ainsi, reprit-il, et tu dois trouver la vie bien triste ?

— Oh ! non ! pas tant, répondit-elle.

Cependant elle semblait plus préoccupée de regarder Étienne que de lui répondre, et tout à coup, fouillant dans sa poche, elle en tira des étuis, de petits bonshommes en bois de hêtre et des boîtes sculptées, comme en fabriquent les paysans de la forêt Noire. Et choisis-

    en obligeant les communes d’adopter ces malheureux, rattachés enfin à leur espèce et à leur patrie par un brevet social. Mais il faudra peut-être plusieurs générations pour les guérir de leurs habitudes nomades, et longtemps encore sans doute on rencontrera sur les routes suisses le char errant de l’heimathlose.