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UN DIVORCE

sa jupe d’indienne, qui, serrée à la taille, dessinait ses hanches, dans le bas pendait en lambeaux. Elle n’avait aux pieds, par ce froid vif, que des pantoufles de lisière, sans bout ni talon, qui, attachées par une sorte d’horrible cothurne, laissaient voir ses pieds rougis.

Tandis qu’elle se tenait immobile devant ce passant dont elle attendait l’aumône, son œil bleu, à la fois doux et sauvage, suivait tous les mouvements d’Étienne avec la défiance de l’animal à demi apprivoisé, que l’avidité seule attire près de l’homme, et qui, même en recevant de lui sa nourriture, se tient sur ses gardes, prêt à la fuite. Mais quand le jeune homme eut mis dans sa main la belle pièce blanche et l’eut saluée d’une voix fraternelle et d’un regard ami, elle resta d’abord stupéfaite, puis attacha sur lui un regard si doux qu’il n’était besoin d’autres remerciements.

Étienne lui fit un signe de tête, et reprit aussitôt son chemin et sa préoccupation. Absorbé de nouveau dans la contemplation des perfections de sa chère Anna et dans le souvenir des espiègleries et des escapades de son enfance et de sa jeunesse, lui que tous ses parents grondaient à l’envi depuis qu’il était au monde, il se demandait si ce n’était point à force de compassion et de bonté qu’elle l’avait aimé.

Ah ! si c’était ainsi, il ne regrettait plus rien de ce triste passé ; mais il allait travailler avec ardeur : il se distinguerait ! Pourquoi n’arriverait-il pas, lui aussi, quelque jour, à l’une des grandes charges du canton, ou même de la république ? Le père Grandvaux ne lui refuserait pas sa fille, alors !…

Le bruit d’une respiration prolongée comme un soupir lui fit retourner la tête, et il vit la mendiante derrière