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UN DIVORCE

« Jacob donc servit sept ans pour Rachel, qui lui parurent comme peu de jours, parce qu’il l’aimait. »

— Ah ! ma chère Anna, s’écria-t-il, est-ce bien moi que tu aimes ? et suis-je bien digne de toi ?

Cependant la bonne madame Grandvaux, si peu observatrice qu’elle fût, ne pouvait s’empêcher d’être frappée de l’expression éclatante du visage de ces deux enfants, dont sa présence interrompait souvent les entretiens. Un jour, elle dit à sa fille, après le départ de son neveu :

— Étienne vient ici trop souvent : cela lui attirera des ennuis avec ton père. Quand on veut aller loin, il ne faut pas aller trop vite : et moi je crois que, s’il continuait de venir comme ça presque tous les jours, il pourrait bien se faire qu’on l’obligeât à renoncer même aux visites du dimanche.

Anna dût s’avouer que le conseil de sa mère était juste. Aussi écrivit-elle à son cousin pour lui remontrer la nécessité d’une grande prudence, en lui enveloppant sous une foule de bonnes raisons et de pures tendresses l’injonction de ne plus se présenter à Beausite que tous les huit jours.

Ce soir-là, Étienne avait quitté sa cousine dans une grande exaltation. Il sentait plus vivement que jamais le bonheur d’être aimé, lui, l’étourdi, le paresseux, le mauvais garçon, par cet ange de sagesse, de douceur et de pureté.

Il allait d’un pas fier et rapide, presque emporté, d’un pas à conquérir le monde ; et de temps en temps, quand il s’arrêtait pour reconnaître sa route, il jetait autour de lui un coup d’œil souverain, souriait aux belles Alpes blanches comme si elles eussent été ses sœurs, et reprenait sa marche avec une nouvelle rapidité.