Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
UN DIVORCE

vaisselle éclataient lumineuses ; le jour passait à l’aise par les vitres claires, et quand les éclairs luisaient, on voyait circuler des flammes rouges dans les veines d’une belle armoire de noyer verni.

Gémissante, la Vionnaz gisait sur son lit. À l’approche des visiteurs, elle ramena vivement sur les draps sales au milieu desquels elle était blottie la couverture de coton à raies qui recouvrait le lit pendant le jour ; puis elle exprima sa reconnaissance, exhala ses peines, et se répandit en plaintes contre sa misère, le mauvais sort, et surtout contre son mari.

— Tout ce qu’il gagne, il le boit, dit-elle, et même ce que je gagne, il me le prend. Je n’ai de lui que des coups et de la peine ; mais que peut-on faire ? Je suis bien allée consulter le juge, mais il m’a dit que c’étaient des choses dont la loi n’avait rien à voir.

— En vérité, dit Étienne à sa cousine, quand ils furent dehors, c’est une horrible chose que de vivre ainsi ! Pourquoi les gens ont-ils tant de peine à s’entendre, ma cousine. Le sais-tu ?

— J’y pense souvent, répondit-elle de son petit air triste.

— C’est qu’ils manquent de raison apparemment.

— Et d’amour, dit-elle.

— Tu as raison ! s’écria-t-il avec transport ; c’est vrai, l’amour donne une force !… on se sent tout autre… on est capable de tout !…

Il s’arrêta tout ému ; Anna ne répondit pas. La pluie commençait par de larges gouttes, et, sous le vent qui s’élevait, les feuilles tombées volaient, s’entre-croisant, comme des oiseaux effarés. Sans doute Étienne et Anna ne s’apercevaient pas de ces signes, car leur pas, assez