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UN DIVORCE

partait trop tard, il s’en allait et revenait posément, d’une mine et d’une démarche insouciantes, comme un flâneur. Bien souvent, quand le cœur tout plein elle n’attendait pour s’épancher qu’une bonne parole, lui, tout occupé du monde qu’il venait de quitter, l’apportait encore entre eux, comme si elle en avait que faire. Il lui était arrivé en partant d’oublier le baiser d’adieu.

Il n’aimerait plus l’amour, lui ! lui si amoureux, qui la traitait en idole !

Mais que ferait-elle alors de sa vie, mon Dieu ! Est-ce qu’on peut trouver en dehors de l’amour du bonheur ou de l’intérêt à quelque chose ? Elle a beau regarder en cherchant, elle ne voit pas. Les femmes sont nées pour aimer et n’ont point d’autre destinée : on le lui a dit. Elle n’a rien à faire au monde que d’être la femme de Ferdinand.

Alors, bien sûre qu’elle a raison, que l’amour est tout son avenir, sa vie légitime, elle se replonge avec passion dans ses exigences. Ce qu’il lui faut, c’est à toute heure la présence de Ferdinand, son sourire, sa voix, son âme, afin que s’opère incessamment le doux échange des impressions et de la pensée, de lui à elle et d’elle à lui. Le bonheur, c’est ce regard, rayon de lumière chargé des forces les plus vives de l’être, qui cherchant l’autre regard s’y mêle, et remonte plein de tout ce qu’il a reçu, libre de tout ce qu’il a donné.

Depuis leur mariage, pas une pensée ne se formulait en elle, pas un sentiment, qu’ils ne cherchassent dans le sentiment et la pensée de Ferdinand leur point d’appui, comme un enfant jumeau qui ne voudrait marcher qu’en donnant la main à son frère. Maintenant il n’existait plus en elle rien d’individuel, rien de solitaire. Elle ne disposait sa chambre, n’arrangeait ses cheveux, ne nouait un