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mille recommandations.

— Tu sais, lui disait-il, ce que nous avons ; veille à ce que rien ne s’en aille. Ne souffre pas qu’on te manque ; mais ne frappe point. Sois juste pour tout le monde.

Jean le Sot écoutait de toutes ses oreilles, en fixant sur son frère ses gros yeux écarquillés, puis il répondait :

— Sois tranquille, je ferai tout pour le mieux.

Et il s’en allait, répétant mot pour mot les paroles de son frère, comme un écolier son catéchisme.

C’était en un beau printemps que Jean le Sage allait ainsi faire sa cour à a fille du fermier de la Grangelière, monté sur son bidet, et brave à plaisir dans son habit des dimanches, d’un beau bleu-le-roi, en cravate de soie, rouge et violette, son gilet à fleurs et son chapeau gris, attaché sous le menton, de peur du vent, par un mouchoir rouge à carreaux. Jean le Sot, le voyant ainsi, était tout fier de son frère, et il le suivait des yeux au loin dans la campagne, trottant d’un arbre à l’autre, et disparaissant et reparaissant.

Les blancs bouquets d’avril avaient fait place aux épais feuillages de mai. Les fruits enfants montraient leurs petites têtes vertes, au sein de leurs collerettes flétries, l’herbe était haute et mêlée de fleurs ; il y avait des nids sous l’aubépine, et, dans les champs, le blé nouait son épi. L’air était doux ; il soufflait une brise qui vous jetait au visage comme des bouquets de parfums, et tous les gens d’ici-bas, humains, bêtes et plantes, paraissaient joyeux de vivre ; et dans l’esprit de Jean il se remuait aussi toutes sortes de choses, qui auraient voulu prendre forme, et, n’y arrivaient pas, s’évanouissant comme des cloches d’eau par la pluie. Ensuite, il pensait à son frère, à la fille de la Grangelière, qui avait une sœur ; le cœur lui battait très fort. Il pensait aussi à sa mère et se sentait envie de pleurer. Entre temps, le sentiment des devoirs dont il était chargé ne le quittait point, et il se remarmotait, de moment en moment, ces paroles de son frère : « Tu sais ce que nous avons, veille à ce que rien ne s’en aille. »

Précisément, il longeait la belle pièce de blé qui faisait l’orgueil de Jean le Sage, et qui était si haute, si épaisse, de si belle venue, qu’elle excitait l’admiration et l’envie de tous les voisins. La brise devint tout à coup plus forte, et Jean le Sot jeta un cri de surprise et d’épouvante, car la