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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

rages de tout le quartier ; pas un qui ne crût la fille au fond du puits. Quelques vieilles bonnes femmes prétendaient se souvenir du temps où il avait été creusé, qu’il était plein de cavernes s’étendant l’une par-ci, l’autre par-là, et pour sûr, pour sûr, la pauvrette devait être enfoncée dans l’une d’elles. La mère, entendant parler de ces cavernes, commença une autre litanie : « Oh ! ma fille ! s’écria-t-elle, tu vas mourir de faim là-dedans, et je ne te verrai plus récréer le monde de tes beautés, de tes grâces, de tes vertus ! » Elle promettait l’univers à qui voudrait plonger dans le puits pour la retrouver, mais tout le monde avait peur des cavernes dont les vieilles parlaient, et craignant de s’y perdre, chacun tournait les épaules et s’en allait avec Dieu.

Antonia. — Et son mari qu’en advint-il ?

Nanna. — Il ressemblait à un chat qui n’est pas de la maison et à qui on a brûlé la queue. Il n’avait même pas le cœur de se laisser voir, tant parce qu’on disait tout haut que si sa femme s’était jetée dans le puits, ses déportements en étaient cause, que par frayeur de la belle-mère qui allait lui sauter à la figure et lui arracher les yeux avec ses ongles. Mais il ne put faire qu’elle ne le trouvât à la fin et ne s’écriât : « Traître ! es-tu content maintenant ? Tes ivrogneries, tes parties de cartes, tes putasseries sont cause qu’elle est noyée, ma fille, ma consolation. Mais porte le crucifix sur ta poitrine, porte-le, te dis-je, car je veux te faire tailler en morceaux, en bouchées, hacher menu ! Attends, attends ! va par où tu voudras, tu attraperas ton affaire, tu seras traité comme tu le mérites, misérable, assassin, ennemi juré de tout ce qui est bon ! » Le pauvre homme ressemblait à quelqu’une de ces peureuses, quand on tire le mousquet, et qui se bouchent les oreilles avec les doigts, pour ne pas entendre le coup. Il la laissa s’enrouer à cracher du venin, s’enferma dans sa chambre et se mit à songer à sa femme, dont le cas lui paraissait étrange. Les choses en restèrent là ; la mère insensée de la mal-plaisante jeune femme para le puits comme un autel ; tout ce qu’elle avait d’images à la maison, elle les suspendit autour et elle y brûla les cierges bénits de dix