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LES RAGIONAMENTI

le porter vers celle de Madonna Merda, rien que pour épier ce qui était advenu de son Levamini. Il y était à peine qu’il entend du tapage dans la maison : voix de la servante, voix de la maman, qui par la fenêtre criaient : « Des crochets ! des crochets ! » et : « Des cordes ! des cordes ! »

Antonia. — Pourquoi des crochets et des cordes ?

Nanna. — Parce qu’en s’apercevant que l’endiablée n’était pas là, après l’avoir appelée tout doucement et à tue-tête, en haut, en bas, en dessus, en dessous, par ci, par l’autre et de tous côtés, elles découvrirent les pantoufles et la robe sur la margelle du puits, et tinrent pour certain qu’elle s’était jetée dedans. La mère se mit à crier : « Au secours ! au secours ! » et tout le voisinage fut sur pied, pour repêcher celle qui avait pris l’occasion par le manche. C’était pitié de voir la pauvre vieille plonger le croc en disant : « Suspends-toi après, ma fille chérie, ma fille mignonne ; je suis ta bonne maman, ta bonne petite maman ! Ah ! le brigand, le traître ! le Judas Iscariote ! » et elle n’accrochait quoi que ce soit.

Antonia. — Dis : rien du tout, si tu veux parler à la moderne.

Nanna. — Elle n’accrochait rien du tout. Laissant là le croc, comme une désespérée, les mains entrecroisées et les yeux au ciel, elle s’écria : « Te semble-t-il honnête, ô bon Dieu ! qu’une fille comme celle-là, si bien apprise, si avenante, sans un vice au monde, ait une pareille fin ! Mes prières et mes aumônes m’ont bien servi ! Puissé-je mourir si je t’allume encore une chandelle ! » Puis apercevant le moine qui, mêlé à la foule, faisait mine de rire en écoutant ses lamentations, sans rien soupçonner de sa fille et croyant qu’il venait pour mendier de la farine, elle l’empoigna par son scapulaire et le traîna hors de la porte, comme si elle voulait se venger de Dieu, qui avait laissé sa fille se jeter dans le puits. « Lèche-plats ! lape-soupe ! plante-mandragore ! avale-lasagnes ! bois-vendange ! tire-vesses !. gratte-pourceaux ! engloutit-potage ! rompt-carême ! » s’écria-t-elle, et un tas d’autres injures, que toutes les femmes s’en compissaient. Et c’était grand plaisir que d’entendre les commé-