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votre kaiser ? Nous, notre président vient. — Non ? — Si. » Une heure après, les Français ont hissé un vieux haut-de-forme sur un bâton, le promènent et l’inclinent gravement, au-dessus de la tranchée. Il est aussitôt criblé de balles.

— Je dîne avec Pierre Loti chez les R… Il est en capitaine de frégate, le crachat de grand officier de la Légion d’honneur sur le téton droit. Et, quand nous prenons congé, il met là-dessus un manteau d’auto et un feutre clairs.

— Le député Moutet conte encore que Barrès, en mission à Épinal, le rencontra chez le préfet au cours d’un bridge. Le voyant en soldat, Barrès lui dit : « Vous êtes à la plus belle place ». Et Moutet : « Si vous voulez la prendre ? »

— À la Chambre, un étranger dans une tribune demandait : « Où est la droite ? où est la gauche ? » Un ardent patriote lui répondit : « Il n’y a plus ni droite ni gauche. Il n’y a que des Français. »

— Les humoristes sont devenus les grands-prêtres du patriotisme. Capus pathétise au Figaro, Franc-Nohain à l’Écho de Paris, Grosclaude agite le drapeau du Journal, et Donnay, qui mange de l’Allemand une fois par semaine dans l’Intransigeant, déclame à l’Académie : « Les pensées s’élèvent et les églises s’emplissent. » Ainsi le Chat Noir (le cabaret où naquit l’école humoriste et où chanta Donnay vers 1885) officie sur l’autel de la patrie.

— Quand je répétai cette dernière réflexion à Briand, il me répondit : « Quoi d’étonnant ? Les femmes qui ont eu une jeunesse légère ne finissent-elles pas par donner le pain bénit ? »

— Le général Sarrail, républicain, écrit à un ami : « J’espère échapper d’ici la fin de la guerre à toutes les embûches. Et je ne parle pas de celles des Boches. »