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enfants, les petits-enfanls et les arrière-petits-enfants. Personne ne pleurait : les larmes eussent été une affectation[1]. La comtesse était si vieille que sa mort ne pouvait surprendre personne, et que les parents la considéraient, depuis de longues années, comme ayant fini son temps.

Un bon prédicateur prononça l’oraison funèbre. En termes simples et touchants, il dit le paisible sommeil de la bienheureuse dont la longue existence n’avait été qu’une sereine, qu’une édifiante préparation à une mort chrétienne :

— L’ange de la mort, disait l’orateur, l’a trouvée dans des pensées heureuses et dans l’attente du fiancé de minuit.

L’office divin s’acheva dans un recueillement digne et triste. Les parents firent, les premiers, leurs adieux à la dépouille mortelle, puis les nombreux invités venus pour rendre un dernier hommage à celle qui, pendant si longtemps, avait été la compagne de leurs frivoles plaisirs, puis les gens de la maison. Enfin s’avança une vieille bârinia, du même âge que la défunte. Deux jeunes filles la soutenaient sous les bras. Elle ne put saluer jusqu’à terre : seule, elle pleura, en embrassant la main froide de son amie.

Après elle, Hermann s’approcha du cercueil. Il se prosterna et demeura quelques minutes sur les dalles froides, jonchées de branches de sapin. Il se releva enfin, pale comme la morte elle-même, gravit les marches du catafalque et se pencha… À ce moment, il lui sembla que la défunte le regardait railleusement, en fermant un œil. Hermann, se rejetant brusquement

  1. En français dans le texte.