Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/290

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distingue quelque chose de sombre et de grand, étendu environ à cinq pas de moi. Par places, on voit reluire des reflets. Ce sont des boutons ou des effets d’équipement. C’est ou bien un cadavre ou bien un blessé.

C’est égal, je me coucherai...

Non, ce n’est pas possible ! Les nôtres ne sont pas partis. Ils ont débusqué les Turcs et occupé cette position. Pourquoi donc n’entend-on pas le bruit des conversations ni le pétillement des feux ? Mais c’est ma faiblesse qui m’empêche d’entendre. Ils sont sûrement ici.

— Au secours ! Au secours !

Des sanglots sauvages, insensés, rauques, s’échappent de ma poitrine, mais ils restent sans réponse. Ils résonnent fortement dans l’air de la nuit. Puis tout redevient silencieux, Rien que les grillons qui bourdonnent toujours infatigablement. La lune me regarde, avec pitié, de sa face ronde.

Si lui était blessé, ce cri l’aurait réveillé. C’est un cadavre. Un des nôtres ou un Turc ? Ah ! mon Dieu, comme si cela n’était pas indifférent ! Et le sommeil clôt mes yeux enflammés.

Je suis couché, les yeux fermés, quoique je sois réveillé depuis longtemps. Je ne veux pas les ouvrir, parce que je sens à travers mes paupières la lumière du soleil ; si je les ouvrais, elle les brûlerait. Et puis il vaut mieux ne pas remuer... Hier (il me semble que c’était hier !) j’ai été blessé ; un jour s’est passé, un deuxième se passera, je mourrai : que m’importe ? Il vaut mieux ne pas remuer. Que mon corps reste immobile. Comme il serait bon aussi d’arrêter le travail du