Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/13

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''covite"[1]. Richelieu lui faisait la cour, et ma grand’mère assure qu’il faillit se brûler la cervelle à cause de ses rigueurs. En ce temps-là, les dames jouaient au pharaon. Une fois, jouant avec le duc d’Orléans, elle perdit sur parole une somme énorme. De retour chez elle, ma grand’mère, après avoir enlevé ses mouches et détaché ses paniers, déclara sa perte à mon grand-père, et le mit en demeure de payer. Feu grand-père, autant que je me le rappelle, était de la même famille que le majordome de grand’mère : il en avait peur comme du feu. Mais l’énoncé d’une perte si considérable l’épouvanta : il apporta des comptes, établit qu’ils avaient dépensé en une demi-année un demi-million, qu’ils ne possédaient dans les environs de Paris ni podmoscovna[2], ni village, et refusa tout net de payer. Grand’mère lui donna un soufflet et, pour lui témoigner sa disgrâce, dîna seule ce soir-là.

« Le lendemain, elle fit appeler son mari, dans l’espoir que cette punition domestique aurait produit quelque effet sur lui ; mais elle le trouva inébranlable. Pour la première fois de sa vie, elle raisonna avec lui, expliqua, voulut bien, pour le persuader, établir qu’il faut distinguer entre telle et telle dette, comme entre un prince et un carrossier…

« — Comment ! s’écria le grand-père révolté. Non ! et assez !

« Grand’mère ne savait que faire. Elle était en relations avec un homme des plus remarquables. Vous avez certes ouï parler du comte de Saint-Germain, dont on a dit tant de merveilles. Vous savez qu’il s’est donné comme le Juif-Errant, et vanté

  1. En français dans le texte.
  2. On appelle ainsi les domaines situés dans les environs de Moscou.