Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/127

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Chemin faisant, il s’était dit :

– Si le major lui-même n’éclate pas de rire à ma vue, ce sera l’indice le plus certain que tout se trouve à sa place accoutumée.

Mais l’assesseur de collège ne dit rien.

– C’est bien, c’est bien, c’est parfait, se dit à part lui Kovaliov. En revenant, il rencontra la femme de l’officier supérieur Podtotchine avec sa fille ; il les aborda et fut accueilli par elles avec de grandes démonstrations de joie : donc il ne présentait aucune défectuosité ! Il s’entretint très longtemps avec elles et, sortant sa tabatière, se mit à bourrer exprès de tabac son nez des deux côtés, en se disant :

« Tenez, je me moque bien de vous, femmelettes, coquettes que vous êtes !… et quant à la fille, je ne l’épouserai tout de même pas. Comme cela – par jeu – je veux bien. »

Et, depuis lors, le major Kovaliov se promenait comme si de rien n’était, et sur la Perspective de Nievsky et dans les théâtres et partout. Et son nez aussi, comme si de rien n’était, restait sur sa figure sans même avoir l’air de s’être jamais absenté. Et depuis lors on voyait le major Kovaliov toujours de bonne humeur, toujours souriant, courtisant toutes les jolies personnes sans exception aucune.