Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/110

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voir maintenant, et non seulement votre vilain tabac de Bérézine, mais même du râpé.

Sur ce, il sortit, profondément irrité, du bureau des annonces et se rendit chez le commissaire de police.

Il fit son entrée juste au moment où celui-ci, en s’allongeant sur son lit, se disait avec un soupir de satisfaction :

– Et maintenant, je m’en vais faire un bon petit somme.

Il était donc à prévoir que la venue de l’assesseur de collège serait tout à fait inopportune. Ce commissaire était un grand protecteur de tous les arts et de toutes les industries, mais il préférait encore à tout un billet de banque.

– C’est une chose, avait-il coutume de dire, dont on ne trouve pas aisément l’équivalent : cela ne demande pas de nourriture, ne prend pas beaucoup de place, cela tient toujours dans la poche, et si cela tombe, cela ne se casse pas.

Le commissaire fit à Kovaliov un accueil assez froid, en disant que l’après-midi n’était pas précisément un bon moment pour ouvrir une instruction ; que la nature ordonnait qu’après avoir mangé on se reposât un peu (ceci indiquait à l’assesseur de collège que le commissaire n’ignorait pas les aphorismes des anciens sages), et qu’à un homme comme il faut on n’enlèverait pas le nez.

L’allusion était vraiment par trop directe. Il faut vous dire que Kovaliov était un homme très susceptible. Il pouvait excuser tout ce qu’on disait sur son propre compte, mais jamais il ne pardonnait ce qui était blessant pour son rang ou son grade. Il avait même la conviction que, dans les pièces de théâtre, on ne devrait permettre des attaques que