Page:Kropotkine Champs, usines et ateliers.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Éblouis par les résultats obtenus, surtout en Angleterre, en notre siècle de merveilleuses découvertes, nos économistes et nos hommes politiques se laissèrent entraîner plus loin encore dans leurs rêves de division du travail. Ils proclamèrent la nécessité de diviser toute l’humanité en ateliers nationaux ayant chacun sa spécialité. On nous enseigna, par exemple, que la Hongrie et la Russie étaient prédestinées par la nature à produire du blé, afin de nourrir les contrées industrielles ; que la Grande-Bretagne devait pourvoir le marché mondial de cotonnades, de fers, d’acier et de houille ; que la Belgique devait procurer à tous les lainages, et ainsi de suite. Que dis-je, dans chaque nation chaque région devait avoir sa spécialité. Il en était ainsi depuis un certain temps, et cet état de choses devait persister. Des fortunes avaient été édifiées grâce à ce système, et il continuerait à s’en édifier.

Comme on avait déclaré que la richesse des nations se mesure à la somme des bénéfices faits par quelques-uns, et que c’est la division du travail qui permet de réaliser les bénéfices les plus considérables, on ne songeait nullement à se demander si les hommes consentiraient à subir toujours une telle spécialisation, et si des nations pouvaient se spécialiser comme des ouvriers isolés. La théorie était bonne pour aujourd’hui. À quoi bon s’inquiéter de demain ? Demain apporterait sa propre théorie.