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Parfaitement ! C’est juste ce que les anarchistes ont toujours dit en parlant du gaspillage incroyable de travail humain qui se fait aujourd’hui sous le régime tant vanté de l’intérêt personnel. Certainement, on peut produire en huit heures ce qui se produit dans les usines patronales en dix heures ! Et avec quelques améliorations en plus, on le ferait même en six heures !

Seulement… puisque l’ouvrier augmente l’énergie de son travail, et puisque son travail devient d’autant plus nerveux et cérébral, il s’ensuit qu’il sort de l’usine tout autant, sinon plus fatigué après huit heures de travail qu’autrefois après dix heures d’usine.

Seulement… puisque l’usine demande maintenant des hommes capables de donner en huit heures ce que l’on obtenait autrefois en dix heures, la sélection des travailleurs les plus jeunes, et le renvoi de tous ceux qui dépassent la quarantaine, se fait bien plus strictement qu’auparavant. — Que les vieux et les faibles aillent mourir sur le pavé !…

Ceci, sans parler des usines vieux type qui doivent se fermer devant la concurrence de celles qui sont mieux organisées.

Si bien que ce prétendu « pas vers la solution de la question sociale » n’est qu’un moyen d’augmenter l’intensité du travail, toujours au profit de l’exploiteur…

Eh bien, le travailleur le sait, il l’apprend, il le prévoyait souvent. Que pensera-t-il donc de ceux qui lui ont fait rêver un règne d’or « pour chauffer l’enthousiasme », qui l’ont trompé sous prétexte de faire son éducation ?

Analysez bien chacune des « questions secondaires », soit en économie sociale, soit en politique, dont on a grandi à dessein l’importance pour en faire un moyen d’agitation, et dans chacune vous retrouvez le même fonds : tromperie, désillusion !

Et puisque la vie actuelle se charge bien vite de donner le démenti aux exagérations, l’ouvrier se voit bientôt dégoûté par toutes ces questions à côté, vers lesquelles on dirige son attention sous ce prétexte qu’il n’est pas mûr pour comprendre la grande question sociale ; il s’aperçoit qu’en réalité on évite simplement d’approfondir en quoi doit consister la « socialisation des moyens de production » qu’on lui a promise et quels sont les procédés nécessaires pour y arriver. Le dégoût saisit l’ouvrier pensant, et il se demande si ce socialisme n’est pas aussi un leurre comme la religion, le patriotisme, le radicalisme, etc., dont on parlait à ses pères.

Et puis, le temps presse… Qui peut répondre que d’ici douze mois, deux ans, nous n’aurons pas la révolution sur les bras, tout comme le