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et le résultat serait que ces individus triompheraient par la faim, à la fois de la variété ancestrale qui ne possède pas les nouvelles modifications, et des variétés intermédiaires qui ne les possèdent pas au même degré. Il est possible qu’au début Darwin se soit représenté de cette façon l’apparition de nouvelles variétés ; au moins l’emploi fréquent du mot « extermination » donne cette impression. Mais Darwin et Wallace connaissaient trop bien la Nature pour ne pas s’apercevoir que cette marche des choses n’est pas la seule possible, et qu’elle n’est nullement nécessaire.

Si les conditions physiques et biologiques d’une région donnée, l’étendue de l’aire occupée par une espèce, et les habitudes de tous les membres de cette espèce restaient invariables — dans ces conditions l’apparition soudaine d’une nouvelle variété pourrait signifier en effet l’anéantissement par la faim et l’extermination de tous les individus non doués à un degré suffisant des nouvelles qualités, caractéristiques de la nouvelle variété. Mais un tel concours de circonstances est précisément ce que nous ne voyons pas dans la nature. Chaque espèce tend continuellement à élargir son territoire ; les migrations vers de nouveaux domaines sont la règle, aussi bien chez le lent colimaçon que chez l’oiseau rapide ; les conditions physiques se transforment incessamment dans chaque région donnée ; et les nouvelles variétés d’animaux se forment dans un très grand nombre de cas — peut-être dans la majorité des cas — non par le développement de nouvelles armes capables d’enlever la nourriture à leurs congénères — la nourriture n’est que l’une des centaines de conditions variées nécessaires à la vie, — mais, comme Wallace le montre lui-même dans un charmant paragraphe sur la « divergence des caractères » (Darwinism, p. 107), ces diffé-