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par Darwin) ; il vit un pélican aveugle nourri, et bien nourri, par d’autres pélicans qui lui apportaient des poissons d’une distance de quarante-cinq kilomètres[1]. Plus d’une fois, durant son voyage en Bolivie et au Pérou, H. A. Wedell vit que lorsqu’un troupeau de vigognes était poursuivi de près par les chasseurs, les mâles les plus forts restaient en arrière afin de couvrir la retraite du troupeau. Quant aux faits de compassion pour des camarades blessés, les zoologistes explorateurs en citent continuellement. De tels faits sont tout à fait naturels. La compassion est un résultat nécessaire de la vie sociale. Mais la compassion prouve aussi un degré fort élevé d’intelligence générale et de sensibilité. C’est le premier pas vers le développement de sentiments moraux plus élevés. C’est aussi un facteur puissant d’évolution ultérieure.


Si les aperçus qui ont été développés dans les pages précédentes sont justes, une question nécessaire se pose : jusqu’à quel point ces faits sont-ils compatibles avec la théorie de la lutte pour la vie, telle que l’ont exposée Darwin, Wallace et leurs disciples ? Je veux répondre brièvement à cette question importante. En premier lieu, il n’y a pas de naturaliste qui puisse douter que l’idée d’une lutte pour la vie, étendue à toute la nature organique, ne soit la plus grande généralisation de notre siècle. La vie est une lutte ; et dans cette lutte c’est le plus apte qui survit. Mais les réponses aux questions : Par quelles armes cette lutte est-elle le mieux soutenue ? et lesquels sont les plus aptes pour cette lutte ? différeront grandement suivant l’importance

  1. L. H. Morgan, The American Beaver, 1868, p. 272 ; Descent of Man, chap. IV.