Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent la plus grande sociabilité au plus haut développement de l’intelligence. Les mieux doués pour la vie sont donc les animaux les plus sociables, et la sociabilité apparaît comme un des principaux facteurs de l’évolution, à la fois directement, en assurant le bien-être de l’espèce tout en diminuant la dépense inutile d’énergie, et indirectement en favorisant le développement de l’intelligence.

De plus, il est évident que la vie en société serait complètement impossible sans un développement correspondant des sentiments sociaux, et particulièrement d’un certain sens de justice collective tendant à devenir une habitude. Si chaque individu abusait constamment de ses avantages personnels sans que les autres interviennent en faveur de celui qui est lésé, aucune vie sociale ne serait possible. Des sentiments de justice se développent ainsi, plus ou moins, chez tous les animaux qui vivent par troupes. Quelle que soit la distance d’où viennent les hirondelles et les grues, chacune retourne au nid qu’elle a bâti ou réparé l’année précédente. Si un moineau paresseux veut s’approprier le nid qu’un camarade est en train de bâtir, ou même s’il cherche à en enlever quelques brins de paille, le groupe des moineaux intervient contre le paresseux ; et il est évident que si cette intervention n’était pas la règle, jamais les oiseaux ne pourraient, comme ils le font, s’associer pour nicher. Des groupes distincts de pingouins ont chacun des endroits distincts où ils se reposent et d’autres où ils pêchent, et ils ne se les disputent pas. Les troupeaux de bestiaux en Australie ont des places déterminées que chaque groupe regagne pour le repos et desquelles ils ne s’écartent jamais ; et ainsi de suite[1] .

  1. Haygarth, Bush Life in Australia, p. 58.