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dent qu’à être laissées en paix pour vivre dans la joie ». Comme tous les animaux sociables, ils sont gais et joueurs, ils se réunissent facilement à d’autres espèces, et ils ont atteint un développement intellectuel très élevé. Dans leurs villages qui sont toujours situés sur les bords des lacs et des rivières ils tiennent compte du niveau variable de l’eau ; leurs huttes en forme de dômes, construites en argile battue entremêlée de roseaux ont des recoins séparés pour les détritus organiques, et leurs salles sont bien tapissées en hiver ; elles sont chaudes et cependant bien ventilées. Quant aux castors, qui sont doués, comme chacun sait, d’un caractère tout à fait sympathique, leurs digues étonnantes et leurs villages dans lesquels des générations vivent et meurent sans connaître d’autres ennemis que la loutre et l’homme, montrent admirablement ce que l’entr’aide peut accomplir pour la sécurité de l’espèce, le développement d’habitudes sociales et l’évolution de l’intelligence ; aussi les castors sont-ils familiers à tous ceux qui s’intéressent à la vie animale. Je veux seulement faire remarquer que chez les castors, les rats musqués et chez quelques autres rongeurs nous trouvons déjà ce qui sera aussi le trait distinctif des communautés humaines : le travail en commun.

Je passe sous silence les deux grandes familles qui comprennent la gerboise, le chinchilla, le viscache et le lagomys ou lièvre souterrain de la Russie méridionale, quoiqu’on puisse considérer tous ces petits rongeurs comme d’excellents exemples des plaisirs que les animaux peuvent tirer de la vie sociale[1]. Je dis les

  1. En ce qui regarde le viscache, il est intéressant de remarquer que ces petits animaux si éminemment sociables non seulement vivent pacifiquement ensemble dans chaque village, mais que la nuit des villages entiers se rendent visite les uns aux autres. Ainsi la sociabilité s’étend à l’espèce tout entière, pas seulement à une société spéciale, ou à une nation comme nous l’avons vu chez les