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suivant les principes de l’entr’aide volontaire, mais il nous faut aussi reconnaître avec Forel que le trait principal, fondamental, de la vie de beaucoup d’espèces de fourmis est le fait, ou plutôt l’obligation pour chaque fourmi, de partager sa nourriture, déjà avalée et en partie digérée, avec tout membre de la communauté, qui en fait la demande. Deux fourmis appartenant à deux espèces différentes ou à deux fourmilières ennemies, quand d’aventure elles se rencontrent, s’évitent. Mais deux fourmis appartenant à la même fourmilière, ou à la même colonie de fourmilières, s’approchent l’une de l’autre, échangent quelques mouvements de leurs antennes, et « si l’une d’elles a faim ou soif, et surtout si l’autre a l’estomac plein…, elle lui demande immédiatement de la nourriture ». La fourmi ainsi sollicitée ne refuse jamais ; elle écarte ses mandibules, se met en position et régurgite une goutte d’un fluide transparent qui est aussitôt léchée par la fourmi affamée. Cette régurgitation de la nourriture pour les autres est un trait si caractéristique de la vie des fourmis (en liberté), et elles y ont si constamment recours pour nourrir des camarades affamées et pour alimenter les larves, que Forel considère le tube digestif des fourmis comme formé de deux parties distinctes, dont l’une, la postérieure, est pour l’usage spécial de l’individu, et l’autre, la partie antérieure, est principalement pour l’usage de la communauté. Si une fourmi qui a le jabot plein a été assez égoïste pour refuser de nourrir une camarade, elle sera traitée comme une ennemie ou même plus mal encore. Si le refus a été fait pendant que ses compagnes étaient en train de se battre contre quelqu’autre groupe de fourmis, elles reviendront tomber sur la fourmi gloutonne avec une violence encore plus grande que sur les ennemies elles-mêmes. Et si une fourmi