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fut sa réponse. « Nous voyions l’épave devant nous ; tous les gens du hameau se tenaient sur le rivage, et tous disaient que ce serait fou de sortir, — que nous ne pourrions jamais tenir la mer. Nous vîmes cinq ou six hommes se cramponner au mât et faire des signaux désespérés. Nous sentions tous qu’il fallait tenter quelque chose, mais que pourrions-nous faire ? Une heure se passa, deux heures, et nous restions tous là. Nous nous sentions très mal à l’aise. Puis, tout d’un coup, à travers le bruit de la tempête, il nous sembla que nous entendions leurs cris — ils avaient un mousse avec eux. Nous n’y pûmes tenir plus longtemps. Tous ensemble, nous nous écriâmes : « Il faut y aller ! » Les femmes le dirent aussi ; elles nous auraient traités de lâches si nous n’y étions pas allés, quoiqu’elles dirent le lendemain que nous avions été des fous d’y aller. Comme un seul homme, nous nous élançâmes au bateau, et nous partîmes. Le bateau chavira, mais nous nous y accrochâmes. Le plus triste fut de voir le pauvre *** noyé à côté du bateau, et nous ne pouvions rien faire pour le sauver. Puis vint une vague effroyable, le bateau chavira de nouveau, et nous fûmes jetés au rivage. Les hommes furent sauvés par le bateau de D., le nôtre fut recueilli à bien des lieues loin d’ici... On me trouva le matin suivant dans la neige. »

Le même sentiment animait aussi les mineurs de la vallée de Rhonda, quand ils travaillèrent pour porter secours à leurs camarades dans la mine inondée. Ils avaient percé trente-deux mètres de charbon afin d’atteindre leurs camarades ensevelis ; mais, quand il ne restait plus à percer que trois mètres, le grisou les enveloppa. Les lampes s’éteignirent et les sauveurs durent se retirer. Travailler dans de telles conditions eût été risquer de sauter à tout instant. Mais les coups des