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régions sans être amené aux mêmes idées. Je me rappelle l’impression que me produisit le monde animal de la Sibérie quand j’explorai la région du Vitim, en compagnie du zoologiste accompli qu’était mon ami Poliakoff. Nous étions tous deux sous l’impression récente de l’Origine des Espèces, mais nous cherchions en vain des preuves de l’âpre concurrence entre animaux de la même espèce que la lecture de l’ouvrage de Darwin nous avait préparés à trouver, même en tenant compte des remarques du troisième chapitre (édit. anglaise, p. 54). Nous constations quantités d’adaptations pour la lutte — très souvent pour la lutte en commun — contre les circonstances adverses du climat, ou contre des ennemis variés ; et Poliakoff écrivit plusieurs excellentes pages sur la dépendance mutuelle des carnivores, des ruminants et des rongeurs, en ce qui concerne leur distribution géographique. Je constatai d’autre part un grand nombre de faits d’entr’aide, particulièrement lors des migrations d’oiseaux et de ruminants ; mais même dans les régions de l’Amour et de l’Oussouri, où la vie animale pullule, je ne pus que très rarement, malgré l’attention que j’y prêtais, noter des faits de réelle concurrence, de véritable lutte entre animaux supérieurs de la même espèce. La même impression se dégage des œuvres de la plupart des zoologistes russes, et cela explique sans doute pourquoi les idées de Kessler furent si bien accueillies par les darwinistes russes, tandis que ces mêmes idées n’ont point cours parmi les disciples de Darwin dans l’Europe occidentale.

Ce qui frappe dès l’abord quand on commence à étudier la lutte pour l’existence sous ses deux aspects, — au sens propre et au sens métaphorique, —