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semi-divine[1]. Ce serait un homme, doué de pleins pouvoirs, un dictateur, qui seul pourrait être et serait le sauveur de la société ; au nom du salut public il pourrait alors commettre toute espèce de violence : brûler des hommes et des femmes sur le bûcher, les faire périr dans d’indescriptibles tortures, plonger des provinces entières dans la plus abjecte misère. Et ils ne manquèrent pas de mettre ces théories en pratique avec une cruauté inouïe, partout où purent atteindre l’épée du roi, ou le feu de l’Église, ou les deux à la fois. Par ces enseignements et ces exemples, continuellement répétés et forçant l’attention publique, l’esprit même des citoyens fut modelé d’une nouvelle façon. Bientôt aucune autorité ne fut trouvée excessive, aucun meurtre à petit feu ne parut trop cruel, tant qu’il était accompli « pour la sécurité publique ». Et avec cette nouvelle direction de l’esprit et cette nouvelle foi dans le pouvoir d’un homme, le vieux principe fédéraliste s’évanouit et le génie créateur même des masses s’éteignit. L’idée romaine triomphait, et dans ces circonstances, l’État centralisé trouva dans la cité une proie toute prête.

Florence au XVe siècle est le type de ce changement. Auparavant une révolution populaire était le signal d’un nouvel essor. Maintenant, quand le peuple poussé au désespoir s’insurge, il n’a plus d’idées constructives ; nulle idée nouvelle ne se fait jour. Un millier de représentants entrent au conseil communal au lieu de quatre cents ; cent hommes entrent à la Signoria au lieu de quatre-vingts. Mais une révolution en chiffres ne veut rien dire. Le mécontentement du peuple s’accroît et de nouvelles révoltes s’élèvent. Alors on fait appel à

  1. Voir les théories exprimées par les jurisconsultes de Bologne, déjà au Congrès de Roncaglia en 1158.