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jugé au point de vue moral, le monde animal est à peu près au niveau d’un combat de gladiateurs. Les créatures sont assez bien traitées et envoyées au combat ; sur quoi les plus forts, les plus vifs et les plus rusés survivent pour combattre un autre jour. Le spectateur n’a même pas à baisser le pouce, car il n’est point fait de quartier.


Et, plus loin, dans le même article, ne nous dit-il pas que, de même que parmi les animaux, parmi les hommes primitifs aussi,


les plus faibles et les plus stupides étaient écrasés, tandis que survivaient les plus résistants et les plus malins, ceux qui étaient les plus aptes à triompher des circonstances, mais non les meilleurs sous d’autres rapports. La vie était, une perpétuelle lutte ouverte, et à part les liens de famille limités et temporaires, la guerre dont parle Hobbes de chacun contre tous était l’état normal de l’existence[1].


Le lecteur verra, par les données qui lui seront soumises dans la suite de cet ouvrage, à quel point cette vue de la nature est peu confirmée par les faits, en ce qui a trait au monde animal et en ce qui a trait à l’homme primitif. Mais nous pouvons remarquer dès maintenant que la manière de voir de Huxley avait aussi peu de droits à être considérée comme une conclusion scientifique que la théorie contraire de Rousseau qui ne voyait dans la nature qu’amour, paix et harmonie, détruits par l’avènement de l’homme. Il suffit, en effet, d’une promenade en forêt, d’un regard jeté sur n’importe quelle société animale, ou même de la lecture de n’importe quel ouvrage sérieux traitant de la vie animale (d’Orbigny, Audubon, Le Vaillant,

  1. Nineteenth Century, février 1888, p. 165.