Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplies autrefois de grands lacs dont il ne reste plus maintenant que de simples étangs. C’est le dessèchement ; un dessèchement récent, qui a commencé avec la période post-glaciaire et s’est continué dans les temps historiques avec une rapidité que nous n’étions pas autrefois préparés à admettre[1]. Contre ce phénomène de la nature l’homme était impuissant. Quand les habitants du Nord-Ouest de la Mongolie et du Turkestan oriental virent que l’eau les abandonnait, ils n’eurent pas d’autre choix que de descendre vers les larges vallées conduisant aux terres plus basses et de repousser vers l’Ouest les habitants des plaines[2]. Peuplades après peuplades furent ainsi jetées en Europe, forçant d’autres peuples à se déplacer et à avancer toujours pendant des

  1. On rencontre dans l’Asie centrale, occidentale et septentrionale des traces innombrables de lacs de la période post-pliocène, maintenant disparus. D’autre part, des coquillages des mêmes espèces que celles qui vivent actuellement dans la mer Caspienne sont répandus sur la surface du sol à l’Est de cette mer, jusqu’à moitié route du lac Aral ; on en trouve dans des dépôts récents vers le Nord jusqu’à Kazan, et des traces de golfes dépendants de la mer Caspienne, que l’on supposait autrefois être d’anciens lits de l’Amou, sillonnent le territoire turcoman, Nous devons naturellement tenir compte des oscillations qui ne seraient que temporaires et périodiques. Mais à part celles-ci, le dessèchement progressif est évident et il procède avec une rapidité inattendue. Même dans les parties relativement humides du Sud-Ouest de la Sibérie, la série de levés, dignes de confiance, publiés par Yadrintseff, montre que des villages qui été construits sur ce qui était, il y a quatre-vingts ans, le fond d’un des lacs du groupe Tchani ; tandis que les autres lacs du même groupe, qui couvraient des centaines de kilomètres carrés il y a environ cinquante ans, sont maintenant de simples étangs. Bref, le dessèchement du Nord-Ouest de l’Asie est une marche dont nous pouvons compter les étapes par des siècles, au lieu de nous servir des unités de temps géologiques dont nous avions l’habitude de parler.
  2. Des civilisations entières ont ainsi disparu, comme il est maintenant prouvé par les découvertes remarquables faites en Mongolie sur l’Orkhon, dans la dépression de Louktchoun, dans les déserts du Takla-maklan, autour du Lob-nor, etc. (travaux de Yadrintseff, Dmitri Clemens, Sven Hedin, Kozloff, etc.).