Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualités sociales qui l’amenèrent à donner son appui à ses semblables et à recevoir le leur[1].


Au XVIIIème siècle le sauvage et sa vie « à l’état de nature » furent idéalisés. Mais aujourd’hui les savants se sont portés à l’extrême opposé, particulièrement depuis que quelques-uns d’entre eux, désireux de prouver l’origine animale de l’homme, mais n’étant pas familiers avec les aspects sociaux de la vie animale, se sont mis à charger le sauvage de tous les traits « bestiaux » imaginables. Il est évident cependant que cette exagération est encore plus anti-scientifique que l’idéalisation de Rousseau. Le sauvage n’est pas un idéal de vertu, mais il n’est pas non plus un idéal de « sauvagerie ». L’homme primitif a cependant une qualité, produite et maintenue par les nécessités mêmes de sa dure lutte pour la vie — il identifie sa propre existence avec celle de sa tribu ; sans cette qualité l’humanité n’aurait jamais atteint le niveau où elle est arrivée maintenant.

Les primitifs, comme nous l’avons déjà dit, identifient tellement leur vie avec celle de leur tribu, que chacun de leurs actes, si insignifiant soit-il, est considéré comme une affaire qui les concerne tous. Leur conduite est réglée par une infinité de règles de bienséance non écrites, qui sont le fruit de l’expérience commune sur ce qui est bien et ce qui est mal, c’est-à-dire avantageux ou nuisible pour leur propre tribu. Les raisonnements sur lesquels sont basées leurs règles de bienséance sont quelquefois absurdes à l’extrême ; beaucoup sont nées de la superstition ; et, en général, en tout ce que fait le sauvage, il ne voit que les conséquences immédiates de ses actes : il ne peut pas prévoir leurs conséquences indirectes et ultérieures. En cela il

  1. Descent of Man, seconde édition, pp. 63 et 64.