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allemande qui passa un hiver tout près d’une de ces « longues maisons » a pu certifier « qu’aucune querelle ne troubla la paix, aucune dispute ne s’éleva pour l’usage de cet étroit espace » pendant tout le long hiver. Les reproches, ou mêmes les paroles désobligeantes, sont considérés comme une offense s’ils ne sont pas prononcés selon la forme légale habituelle, la chanson moqueuse, chantée par les femmes, le « nith-song[1] ».

Une étroite cohabitation et une étroite dépendance mutuelle suffisent pour maintenir siècle après siècle ce profond respect des intérêts de la communauté qui caractérise la vie des Esquimaux. Même dans leurs plus grandes communautés, « l’opinion publique forme le vrai tribunal, et la punition ordinaire est un blâme du coupable en présence de la communauté[2] ».

La vie des Esquimaux est basée sur le communisme. Ce qu’on capture à la pêche ou à la chasse appartient au clan. Mais dans plusieurs tribus, particulièrement dans l’Ouest, sous l’influence des Danois, la propriété privée pénètre dans les institutions. Cependant ils ont un moyen à eux pour obvier aux inconvénients qui naissent d’une accumulation de richesses personnelles, ce qui détruirait bientôt l’unité de la tribu. Quand un homme est devenu riche, il convoque tous les gens

  1. Dr H. Rink, The Eskimo Tribes, p. 26 (Meddeleiser om Grönland, vol. XI, 1887).
  2. Dr Rink. loc. cit., p. 24. Les Européens élevés dans le respect du droit romain sont rarement capables de comprendre la force de l’autorité de la tribu. « En fait, écrit le Dr Link, ce n’est pas une exception, mais bien la règle, que les hommes blancs qui sont restés dix ou vingt ans parmi les Esquimaux, s’en retournent sans avoir vraiment rien appris sur les idées traditionnelles qui forment la base de l’état social des indigènes. L’homme blanc, qu’il soit missionnaire ou commerçant, a l’opinion dogmatique bien arrêtée que le plus vulgaire Européen est supérieur à l’indigène le plus distingué. » — The Eskimo Tribes, p. 31