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rections des « arts jeunes » contre les « arts anciens », le sang versé et les représailles dans ces luttes…

Eh bien, non, je n’oublie rien. Mais, comme Léo et Botta, — les deux historiens de l’Italie médiévale, — comme Sismondi, comme Ferrari, Gino Capponi et tant d’autres, je vois que ces luttes furent la garantie même de la vie libre dans la cité libre. J’aperçois un renouveau, un nouvel élan vers le progrès après chacune de ces luttes. Après avoir raconté en détail ces luttes et ces conflits, et après avoir mesuré aussi l’immensité des progrès réalisés pendant que ces luttes ensanglantaient la rue, — le bien-être assuré à tous les habitants, la civilisation renouvelée, — Léo et Botta concluaient par cette pensée si juste, qui me revient fréquemment à l’idée ; je voudrais la voir gravée dans l’esprit de chaque révolutionnaire moderne :

« Une commune, disaient-ils, ne présente l’image d’un tout moral, ne se montre universelle dans sa manière d’être, comme l’esprit humain lui-même, que lorsqu’elle a admis en elle le conflit, l’opposition. »

Oui, le conflit, librement débattu, sans qu’un pouvoir extérieur, l’État, vienne jeter son immense poids sans la balance, en faveur d’une des forces qui sont en lutte.

Comme ces deux auteurs, je pense aussi que l’on a causé souvent « beaucoup plus de maux en imposant la paix, parce que l’on alliait ensemble des choses contraires, en voulant créer un ordre politique général, et en sacrifiant les individualités et les petits organismes, pour les absorber dans un vaste corps sans couleur et sans vie. »

Voilà pourquoi les communes, — tant qu’elles ne cherchèrent pas elles-mêmes à devenir des États et à imposer autour d’elles « la soumission dans un vaste corps sans couleur et sans vie » — voilà pourquoi elle grandissaient, sortaient rajeunies de chaque lutte et florissaient au cliquetis des armes dans la rue ; tandis que, deux siècles plus tard, cette même civilisation s’effondrait au bruit des guerres enfantées par les États.

Dans la commune, la lutte était pour la conquête et le maintien de la liberté de l’individu, pour le principe fédératif, pour le droit de s’unir et d’agir ; tandis que les guerres des États avaient pour but d’anéantir ces libertés, de soumettre l’individu, d’annihiler la libre entente, d’unir les hommes dans une même servitude vis-à-vis le roi, le juge, le prêtre, — l’État.

Là gît toute la différence. Il y a les luttes et les conflits qui tuent. Et il y a ceux qui lancent l’humanité en avant.