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conduit elle-même ses guerres acharnées contre les seigneurs féodaux des alentours, en nommant chaque année un ou plutôt deux commandants militaires de ses milices ; ou bien elle accepte un « défenseur militaire » — un prince, un duc, qu’elle choisit elle-même pour un an, et renvoie quand bon lui semble. Elle lui livre, généralement, pour l’entretien de ses soldats, le produit des amendes judiciaires ; mais elle lui défend de s’immiscer dans les affaires de la cité. Ou bien enfin, trop faible pour s’émanciper en entier de ses voisins, les vautours féodaux, elle gardera pour défenseur militaire plus ou moins permanent son évêque, ou un prince de telle famille — guelfe ou gibeline en Italie, famille de Rurik en Russie, ou d’Olgerd en Lithuanie, — mais elle veillera avec jalousie à ce que l’autorité du prince ou de l’évêque ne dépasse pas les hommes campés au château. Elle lui défendra même d’entrer, sans permission, dans la ville. Vous savez, sans doute, que jusqu’à présent la reine d’Angleterre ne peut entrer dans la cité de Londres sans la permission du lord maire de la cité.

Je voudrais parler plus longuement de la vie économique des cités du moyen âge ; mais je suis forcé de la passer sous silence. Elle fut si variée qu’elle demanderait d’assez longs développements. Il suffira de remarquer seulement que le commerce intérieur se faisait toujours par les guildes — non par les artisans isolés — les prix étant fixés par entente mutuelle ; qu’au commencement de cette période, le commerce extérieur se faisait exclusivement par la cité ; que plus tard seulement il devint le monopole de la guilde des marchands et, plus tard encore, des individus isolés ; que jamais on ne travaillait le dimanche ni l’après-midi du samedi (jour de bain) ; enfin, que l’approvisionnement des denrées principales se faisait toujours par la cité. Cet usage s’est maintenu, en Suisse, pour le blé, jusqu’au milieu du XIXe siècle. En somme, il est prouvé par une masse immense de documents de toute sorte que jamais l’humanité n’a connu, ni avant ni après, une période de bien-être relatif aussi bien assuré à tous qu’il le fut dans les cités du moyen âge. La misère, l’incertitude et le sur-travail actuels y furent absolument inconnus.


V


Avec ces éléments, — la liberté, l’organisation du simple au composé, la production et l’échange par les métiers (les guildes), le commerce étranger mené par la cité entière, et non pas par des particu-