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Enfin on n’entendit plus d’éléphants marcher dans la forêt, et Kala Nag roula pesamment d’entre les arbres, et s’avança parmi la foule, gloussant et gargouillant ; et tous les éléphants commencèrent à s’exprimer dans leur langage et à se mouvoir çà et là. Toujours couché. Petit Toomai découvrit des centaines de larges dos, d’oreilles branlantes, de trompes ballottées et de petits yeux roulants. Il entendait le cliquetis des défenses lorsqu’elles s’entrecroisaient par hasard ; le bruissement sec des trompes enlacées ; le frottement des flancs et des épaules énormes, dans la cohue ; l’incessant flic-flac et le hissh des grandes queues. Puis, un nuage couvrit la lune, et ce fut la nuit noire ; mais les poussées, les froissements et les gargouillements n’en continuèrent pas moins, égaux et réguliers. L’enfant savait Kala Nag entouré d’éléphants et ne voyait aucune chance de le faire sortir de l’assemblée ; il serra les dents et frissonna. Dans un keddah, au moins, il y avait la lumière des torches et les cris, mais ici, on était tout seul dans les ténèbres, et, une fois, une trompe se leva et lui toucha le genou. Ensuite un éléphant trompeta et tous l’imitèrent pendant cinq ou dix terribles secondes.

La rosée pleuvait des arbres, en larges gouttes, sur les dos invisibles. Et un bruit s’éleva, sourd grondement peu prononcé d’abord, et Petit Toomai n’en aurait pu dire la nature ; le bruit monta, monta, et Kala Nag levait ses pieds de devant l’un après l’autre, et les reposait sur le sol — une, deux, une, deux ! — avec autant de précision que des marteaux de forge. Les éléphants frappaient du pied maintenant tous ensemble, et cela sonnait comme un tambour de guerre