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RÉFLEXION.

La vie de l’homme sur la terre est pleine de douleurs, de misères, de souffrances ; qui ne le sait ? Nous sommes visiblement punis, et comme la justice qui nous châtie est toute-puissante, nul moyen d’échapper au châtiment. Or, en cet état, la sagesse humaine n’a vu que le choix entre deux partis : ou de se raidir contre la nature et de nier le supplice, ou d’y chercher une distraction dans la volupté. Elle a demandé le bonheur à l’orgueil et aux sens, et, trompée dans ses espérances, elle s’est voilé la tête, en disant : Il n’y a point de remède. Le monde en était là, quand tout à coup une voix s’élève : Heureux ceux qui pleurent[1] ! Les peuples écoutent et s’étonnent ; quelque chose de nouveau se remue en eux ; ils com prennent, ils goûtent la joie des larmes, et du haut de la croix où l’homme de douleurs[2] est attaché, un fleuve inépuisable de consolations inconnues coule sur le genre humain. Sa vie a perdu sa tristesse, depuis que, baigné d’une sueur de sang, et dans les transes de l’agonie, Jésus s’est écrié : Mon âme est triste jusqu’à la mort[3]. Elle n’a plus assez de souffrances pour le repentir qui les cherche, pour l’amour qui les désire et qui s’y complaît. Qu’est-ce donc que cette merveille ? O Fils du Dieu vivant, c’est que votre lumière a éclairé le monde, et que votre grâce l’a touché ; c’est que l’homme, sorti de sa voie, l’a retrouvée en vous qui êtes la voie, la vérité et la vie[4] ; c’est qu’il a conçu qu’après le péché, le seul bien qui reste est l’expiation, et il a dit en regardant la croix : Ou souffrir, ou mourir ! Victime sainte, Agneau de Dieu qui ôtez le péché du monde[5], donnez-moi de souffrir avec vous, et de mourir en unissant mes dernières souffrances à celles qui nous ont rouvert le ciel que le péché nous avait fermé !


CHAPITRE XIX.

DE LA SOUFFRANCE DES INJURES ET DE LA VÉRITABLE PATIENCE.


1. J.-C. Pourquoi ces paroles, mon fils ? cessez de vous plaindre, en considérant mes souffrances et celles des Saints.

Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang[6].

  1. Matth. v, 5.
  2. Is. liii, 3.
  3. 3. Marc. xiv, 34.
  4. Joan. xiv, 6.
  5. 5. Joan. i, 29.
  6. Heb. xii, 4.