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demandait de moi une chose qui excédait la raisonnable obéissance. On insistait avec une dureté inouïe et comminatoire pour que la chose fût faite dans les vingt-quatre heures. On me tentait presque dans mon honneur. J’allai demander conseil à ma chère édition, elle ne me laissa pas longtemps perplexe ; elle me dit : Ne fais pas cela, et si l’on te presse davantage, résigne ton poste. Je ne fis pas la chose, et mon poste me fut gardé. Peut-être celui qui m’avait commandé cela en avait-il référé de son côté à son édition, chapitre Des devoirs des supérieurs envers leurs inférieurs, et ce chapitre l’avait averti qu’il allait abuser de sa maîtrise. J’ai toujours aimé à le penser et à le lui imputer à bien.

Un autre jour c’est la maladie qui entre chez moi et le médecin tôt après. Il n’y a pas de pires épreuves et de troubles de la chair comparables à ceux-là. Si peu de chose sépare la maladie de la mort que l’une nous figure le maître de cérémonies de l’autre. Ce fils que Dieu m’a donné et que dans son extrême bonté il a bien voulu me conserver, Dieu va-t-il me l’ôter ?

Et pourquoi m’épargnerait-il dans mon sang, lui qui n’a pas épargné tant de braves pères meilleurs que moi ? Dans ces heures d’angoisses extrêmes, où notre cœur, pour ainsi dire arraché de son fond, ne sait même plus former de prière, que devenir ? A quoi se tourner ? Et nunc, Pater dilecte, quid dicam ? On trouve cela et le reste qu’on peut y lire dans le chapitre xxix du livre III : Qualiter, instante tribulatione, Deus invocandus est et benedicendus. J’ai recours à ce chapitre xxix, et je le mets au lieu et place de mon misérable cœur, je ne peux pas prier de moi-même. Celui qui a écrit ce chapitre pour les désolés de ce monde prie pour moi, et je redis toutes ses paroles comme un enfant auquel on fait réciter son Pater ou son Credo. A cela, des braves de l’Académie ou du Lycée me disent : Comment peut-on s’abêtir ainsi ayant été un bel esprit de collège et ne l’étant que trop encore ? Que voulez-vous ? Apportez-moi un bon raisonnement philosophique de votre Académie ou de votre Lycée, qui me rende fort contre moi-même et qui m’aide à me comporter un peu plus bravement chez moi. Je le prendrai de n’importe quelle main et j’avalerai tout d’un trait votre cordial. Hélas ! combien n’en ai-je pas pris de ces cordiaux de l’école ! ils ne m’ont absolument rien fait.

Autres sont les secours de la philosophie, autres ceux de la religion. Ceux-là sont pour l’usage externe comme parle la