Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle pas elle-même sous les yeux un exemple de la grandeur magnanime et généreuse d’un homme envers une femme qui s’était mise à en aimer un autre ? Musset ne lui donnait-il pas la preuve de cette douceur, de cette tendresse, de cette abnégation ? Ce même Musset qui lorsqu’elle l’aimait, l’avait tant de fois offensée, outragée, martyrisée par ses soupçons et sa jalousie rétrospective, avait su, tout à coup, accepter, avec une générosité profondément humaine, le refroidissement à son égard de la femme aimée. Au lieu d’écrire sur le drame de Venise tous ces vilains contes bleus, les biographes de Musset eussent bien mieux fait s’ils s’étaient bornés à ce seul mot : Musset fut le prototype de Jacques. Et toutes les têtes se seraient inclinées devant celui qui a su, dans la vie réelle, faire preuve de tant d’idéalisme en perdant son amante : ce qui, même dans un roman, nous semble une pure utopie. C’est là vraiment chose sublime, tout extraordinaire, et Mme Arvède Barine a tort de railler ainsi ces nouveaux rapports entre Musset et George Sand, — Musset nous y apparaît comme un homme au-dessus du commun des mortels par sa manière indépendante et profonde de prendre les choses de sentiment.

Musset parti, l’affreuse tension dans laquelle George Sand avait passé les derniers mois cessa aussitôt de se faire sentir. Elle raconte que ce ne fut qu’après avoir quitté Musset, qu’elle avait accompagné jusqu’à Mestre[1], et en revenant chez elle en gondole, qu’elle sentit cesser cette énergie surnaturelle et cette tension nerveuse qui l’avaient

  1. Dans les lettres à Boucoiran — celle de la Correspondance et l’inédite — G. Sand dit qu’elle l’a accompagné jusqu’à Vicence. D’après l’Histoire de ma Vie et les lettres de Pagello, elle l’aurait conduit jusqu’à Mestre.