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un amour-propre maladif. Mais, de plus en plus éclairé par la lumière de l’esprit et soutenu par le véritable amour, il devient enfin un homme distingué, capable d’abnégation et, plutôt que d’être un objet de terreur et de haine pour Edmée, en profitant de sa parole arrachée dans un moment de danger, il préfère renoncer à la jeune fille adorée, et mourir loin de sa patrie, et dans la guerre pour l’indépendance de l’Amérique, afin de mériter son estime. Revenu pourtant dans son pays, il trouve le bonheur ; mais au moment de l’atteindre, le dernier des Mauprat, le hideux Jean le Tors attente à la vie d’Edmée. Le soupçon retombe sur Bernard. Il est arrêté et jugé. À la fin tout s’explique et Bernard épouse sa bien-aimée. Les étapes successives que traverse cette nature exceptionnelle et puissante sont tracées de main de maître. L’apparition d’Edmée sous les voûtes sombres du castel des Mauprat ; le siège du château par la maréchaussée royale ; la scène passionnée de la chapelle, dont il n’existe de pendant que dans le dialogue nocturne d’Esmeralda et de Claude Frollo ; la veillée à la tour Gazeau ; la scène de jalousie de Bernard à propos de M. de la Marche, un autre prétendant à la main d’Edmée, et l’explication en sa présence, entre Bernard et Edmée ; enfin, l’épisode final, un peu mélodramatique il est vrai, mais grandement puissant et hardiment beau, et l’apparition inattendue de Jean de Mauprat, la tentative de meurtre d’Edmée et la scène du tribunal, — voilà des pages que le lecteur n’oubliera jamais. Le souffle des siècles passés, de farouche mémoire, semble traverser le roman, l’air de ces temps où les hommes et les passions étaient désordonnés, violents, excessifs. Et avec cela, quel charme dans cette adorable figure d’Edmée qui semble mieux que toute autre mériter l’épithète de « forte et