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dessous. Somme toute, nous vivons aujourd’hui dans une époque de transition, saturée de puissance cachée, d’aspirations réprimées, de fermentation générale, de décomposition universelle, alors que le vieux monde meurt et que le nouveau n’est pas encore né. C’est sur cette peinture d’une époque troublée que les Lettres à Marcie s’arrêtent : leur dernier mot est : Espérons ! Et Marcie elle-même est comme la personnification de cette époque de transition dans l’histoire de la femme. C’est une âme en fermentation ; la recherche du vrai dans les ténèbres, c’est le crépuscule précurseur de l’aurore, comme celui dont l’auteur nous parle à la fin de la quatrième Lettre à Marcie, l’une des plus belles pages de George Sand :

« Marcie, il est une heure dans la nuit, que vous devez connaître, vous qui avez veillé au chevet de malades, ou sur votre prie-Dieu, à gémir, à invoquer l’espérance : c’est l’heure qui précède le lever du jour ; alors, tout est froid, tout est triste ; les songes sont sinistres et les mourants ferment leurs paupières. Alors, j’ai perdu les plus chers d’entre les miens, et la mort est venue dans mon sein comme un désir. Cette heure, Marcie, vient de sonner pour nous ; nous avons veillé, nous avons pleuré, nous avons souffert, nous avons douté ; mais vous, Marcie, vous êtes plus jeune : levez-vous donc et regardez : le matin descend déjà sur vous à travers les pampres et les giroflées de votre fenêtre. Votre lampe solitaire lutte et pâlit ; le soleil va se lever, son rayon court et tremble sur les cimes mouvantes des forêts, la terre, sentant ses entrailles se féconder, s’étonne et s’émeut comme une jeune mère, quand, pour la première fois, dans son sein, l’enfanta tressailli[1]. »

  1. Lettres à Marcie, p. 217.