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qu’aient été ses défauts et ses vices qui ont plus tard amené le naufrage de sa santé et de ses qualités morales, il fut vraiment un poète, et il a suivi instinctivement le conseil de Gœthe :

    « Greift nur hinein ins volle Menschenleben,
    « Ein yeder lebt’s, nicht vielen ist’s bekannt,
    « Und wo Ihr’s packt, da ist’s interessant
[1].

Et ne dit-il pas lui-même, dans le Poète et le Prosateur, en faisant le portrait d’un vrai poète : « Le plus petit être, la moindre créature, par cela seul qu’ils existent, excitent sa curiosité. Le grand Goethe quittait sa plume pour examiner un caillou et le regarder des heures entières ; il savait qu’en toute chose réside un peu du secret des dieux. Ainsi fait le poète, et les êtres inanimés eux-mêmes lui semblent des pensées muettes… Regarder, sentir, exprimer, voilà sa vie ; tout lui parle ; il cause avec un brin d’herbe ; dans tous les contours qui frappent ses yeux, même dans les plus difformes, il puise et nourrit incessamment l’amour de la suprême beauté ; dans tous les sentiments qu’il éprouve, dans toutes les actions dont il est témoin, il cherche la vérité éternelle… » Un homme qui n’aurait rien vu que des salons de duchesses, et qui, n’eût « passé qu’en voiture à côté de tous les cloaques » de la vie, n’eût jamais, à coup sûr, écrit des pages aussi émouvantes, que la scène finale de Rolla, ni des scènes d’un tragique aussi profond que celle de la taverne dans la Confession, ni les mots cités plus haut : « Parmi les coureurs de tavernes… », ni enfin les lignes si profondément tristes


  1. « Puisez en pleine vie humaine ; chacun la vit ; peu la connaissent,
    et là où vous l’empoignez, — c’est là que c’est intéressant »…