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me font pas souffrir du côté humain. Qu’on les taille en marbre, qu’on les coule en bronze et qu’on n’en parle plus. Tant qu’ils vivent, ils sont méchants, persécutants, fantasques, despotiques, amers, soupçonneux. Ils confondent dans le même mépris orgueilleux les boucs et les brebis. Ils sont pires à leurs amis qu’à leurs ennemis. Dieu nous en garde ! Restez bonne, bête même, si vous voulez. Franz pourra vous dire que je ne trouve jamais les gens que j’aime assez niais à mon gré. Que de fois je lui ai reproché d’avoir trop d’esprit. Heureusement que ce trop n’est pas grand’chose et que je puis l’aimer beaucoup…[1]. »

Le grand homme faisait donc de plus en plus souvent reconnaître à George Sand son isolement moral, et elle se sentait plus que jamais, bien qu’autrement que jusque-là, une Lélia incomprise et déçue. Et quoique, contrairement à ce qu’elle avait dit en 1833, elle écrivait maintenant : « Lélia n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela, mais c’est mon idéal. C’est ainsi que je conçois ma muse, si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse…[2] », elle avouait cependant quelquefois : « Lélia est le roman où j’ai mis plus de moi que dans tout autre livre[3]. »

Il n’y a donc rien d’étonnant si les idées générales formant la base de la nouvelle Lélia viennent à être formulées sous sa plume comme suit : « Se jeter dans la mère Nature ; la prendre réellement pour mère et pour sœur ; retrancher stoïquement et religieusement de sa vie tout ce qui est vanité satisfaite ; résister opiniâtrement aux

  1. Correspondance, t. II, p. 9.
  2. Correspondance, t. I, p. 372. Lettre à Mme d’Agoult.
  3. Correspondance, t. II, p. 25. Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie.