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de mes vieux jours… Voyez ! Il a eu l’heureuse idée de vouloir me tuer un soir qu’il était ivre. En attendant que cette benoîte fantaisie de meurtre conjugal me rende mon pays, ma vieille maison et cinq ou six champs de blé qui me nourriront quand mes longues veilles m’auront jetée dans l’idiotisme, je fais le Sixte-Quint. Mon cheval est rentré sous le hangar et on n’entend pas voler une mouche autour de mon cloître désert. Le jardinier et sa femme, qui sont mes factotums, m’ont suppliée de ne pas les faire demeurer dans la maison. J’ai voulu en savoir le motif. Enfin le mari baissant les yeux d’un air modeste, m’a dit : « C’est que madame a une tête si laide, que ma femme étant enceinte, pourrait être malade de peur. » Or, c’est de la tête de mort qui est sur ma table dont il voulait parler (du moins à ce qu’il m’a juré ensuite) ; car je trouvai la plaisanterie de fort mauvais goût et je me fâchai. Ensuite j’ai songé que cette tête si laide ferait grand effet. J’ai permis à mon jardinier de s’éloigner et de garder la pensée que cette tête était un signe de pénitence et de dévotion… »

George Sand en agissant ainsi préférait trouvait moyen de se passer des services du jardinier et de sa femme, car d’une part elle savait que la nouvelle de son repentir irait bientôt jusqu’aux deux petites villes berrichonnes où demeuraient les juges chargés de la question de lui restituer ses enfants, d’autre part cela la garantissait de la visite des curieux. Or, il est à croire que sa solitude ne fut pas toujours absolue et que son cheval ne restait pas toujours « sous le hangar ». Lorsqu’elle ne pouvait pas aller elle-même à Bourges chez son ami, celui-ci arrivait soit à Nohant, soit à Saint-Amand ou à la Châtre où elle allait à sa rencontre à cheval. Mais personne ne le soupçonnait. Bien au contraire, d’après ce qu’elle dit elle-même : « … À