Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

René : « Un instinct secret me tourmente », instinct qui lui faisait attendre impatiemment la solution des obscurs problèmes de la vie. Comme au temps de ses lectures avec Caroline de Saint-Criq, alors qu’ils lisaient ensemble les écrivains religieux et les grands poètes, Liszt, à présent, malade, désolé d’avoir à jamais perdu la jeune fille qu’il aimait, et fuyant le monde, sans même trouver de consolation dans la religion, se jeta avidement sur les écrivains du milieu et de la fin du xviiie siècle. De Réné et Werther, il passa aux encyclopédistes ; en son cerveau germèrent des doutes qui se transformèrent bientôt en une de ces tempêtes qui brisent tout sur leur passage. C’était là une saine protestation contre son mysticisme antérieur, contre « l’aveugle et instinctive » religiosité catholique, basée sur les dogmes soi-disant inébranlables. « Il dévorait avec une activité insatiable les œuvres de ses illustres contemporains, » — dit Lina Ramann. « Il les avalait en tâchant de s’en assimiler l’essence même. Il puisait, pour ainsi dire, l’âme de l’écrivain. Pendant quatre heures consécutives, il lisait des dictionnaires, d’une manière aussi infatigable et insatiable que les œuvres des poètes ; il étudiait Boiste et Lamartine avec la même ardeur, avec la même tension d’esprit, et lorsqu’il croyait avoir pénétré la pensée d’un auteur, il courait chez lui pour lui demander franchement l’explication de ses idées. »

La révolution de Juillet qui vint à éclater éveilla sa pensée, lui fit rejeter tout ce qui lui restait d’enfantin, oublier sa maladie, ses désillusions. Il se virilisa définitivement, tant physiquement qu’intellectuellement. « C’est le canon qui l’a guéri », disait de lui sa mère. Une soif ardente d’agir se manifesta chez lui ; le sang hongrois bouillonna en ses veines, et l’on eût pu croire qu’il allait