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résonner la lyre divine de l’art. Il paraît qu’il y a ici un mécontentement accidentel et particulier des enfants de la jeune Rome contre ceux de la vieille Babylone… L’autre jour, un des vôtres, c’est-à-dire un des nôtres, un républicain, déclara presque sérieusement que je méritais la mort[1]. Le diable m’emporte si je comprends ce que cela veut dire ! Néanmoins, j’en suis tout ravi et tout glorieux, comme je dois l’être ; et je ne manque pas depuis ce jour-là de dire à tous mes amis, en confidence, que je suis un personnage littéraire et politique fort important, donnant ombrage à ceux de mon propre parti, à cause de ma grande supériorité sociale et intellectuelle… »

Et continuant tantôt à persifler, tantôt à faire des digressions lyriques, George Sand repousse les uns après les autres les assauts de Michel contre l’art et les artistes, et nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici la lettre toute entière, tant la langue en est admirable, tant ces pages sont ardentes et puissantes.

« … Mais je t’ennuie avec mon incorrigible et plate facétieuseté… me voilà redevenu sérieux… Je suis prêt à te confesser que nous sommes tous de grands sophistes. Le sophisme a tout envahi, il s’est glissé jusque dans les jambes de l’Opéra, et Berlioz l’a mis en symphonie fantastique. Malheureusement pour la cause de l’antique sagesse, quand tu entendras la marche funèbre de Berlioz[2], il y aura un certain ébranlement nerveux dans ton cœur de lion, et tu te mettras peut-être bien à rugir, comme à la mort de Desdemona ; ce qui sera fort désagréable pour moi, ton compa-

  1. Voir la lettre à Planet déjà citée, où George Sand raconte que Michel la déclarait digne d’être guillotinée.
  2. Marche au supplice de la « Symphonie fantastique, épisode de la vie d’un artiste ».