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prendre trop ou trop peu d’empire sur moi. Ma force virile se révoltait en vain contre elle ; une lutte affreuse a dévoré les plus belles années de ma vie ; je suis resté tout ce temps dans une terre étrangère pour mon âme, dans une terre d’exil et de servitude, d’où me voici échappé enfin, tout meurtri, tout abruti par l’esclavage, et traînant encore après moi les débris de la chaîne que j’ai rompue, et qui me coupe encore jusqu’au sang, chaque fois que je fais un mouvement en arrière pour regarder les rives lointaines et abandonnées. Oui, j’ai été esclave ; plains-moi, homme libre, et ne t’étonne pas aujourd’hui de voir que je ne peux plus soupirer qu’après les voyages, le grand air, les grands bois et la solitude… L’esclavage avilit l’homme et le dégrade. Il le jette dans la démence et dans la perversité ; il le rend méchant, menteur, vindicatif, amer, plus détestable vingt fois que le tyran qui l’opprime ; c’est ce qui m’est arrivé, et, dans la haine que j’avais conçue contre moi-même, j’ai désiré la mort avec rage, tous les jours de mon abjection… »

Ces lignes, comme nous le voyons, ne sont qu’une répétition de ce que George Sand avait déjà écrit à Sainte-Beuve. Ensuite elle exprime l’espoir et la conviction que pourtant elle peut encore être « sobre et robuste » apte au travail, à la constance, au désintéressement et à la simplicité.

Elle finit cette lettre par une apostrophe inattendue et enthousiaste : « … République, aurore de la justice et de l’égalité, divine utopie, soleil d’un avenir peut-être chimérique, salut ! » Et malgré les doutes qu’elle vient d’exprimer sur la possibilité d’arriver à l’égalité universelle et sur la prétention des partisans de Michel de savoir ce qui peut faire le bonheur de l’humanité, George Sand s’écrie toutefois à