Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enverrai une feuille, et tu te souviendras un instant de celui qui rit de toutes les idées représentées par des cuistres, mais qui s’incline religieusement devant un grand cœur où réside la justice… »

Et à la question : « … À quand donc la conclusion ? et si tu meurs sans avoir conclu ? » — elle répond hardiment : … « Ma foi ! meure le petit George quand Dieu voudra, le monde n’en ira pas plus mal pour avoir ignoré sa façon de penser… Je n’ai aucun intérêt à formuler une opinion quelconque. Quelques personnes qui lisent mes livres ont le tort de croire que ma conduite est une profession de foi, et le choix des sujets de mes historiettes, une sorte de plaidoyer contre certaines lois… Mes écrits, n’ayant jamais rien conclu, n’ont causé ni bien ni mal. Je ne demande pas mieux que de leur donner une conclusion, si je la trouve ; mais ce n’est pas encore fait, et je suis trop peu avancé sous certains rapports pour oser hasarder mon mot. J’ai horreur du pédantisme de la vertu. Il est peut-être utile dans le monde ; pour moi, je suis de trop bonne foi pour essayer de me réconcilier par un acte d’hypocrisie avec les sévérités que mon irrésolution (courageuse et loyale, j’ose le dire) attire sur moi. J’en supporterai la rigueur, quelque pénible qu’elle me puisse être, tant que je n’aurai pas la conviction intime que j’attends. Me blâmes-tu ? Je suis dans un tout petit cercle de choses, et pourtant tu peux le comparer, à l’aide d’un microscope, à celui où tu existes. Voudrais-tu, pour acquérir plus de popularité ou de renommée, feindre d’avoir les opinions qu’on t’imposerait, et proposer comme article de foi ce qui ne serait encore qu’à l’état d’embryon dans ta conscience ? Je tenais trop à ton estime pour ne pas t’exposer ma situation… »