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écouter la voix des torrents… Votre ambition est noble et magnifique, ô hommes du destin ! De tous les hochets dont s’amuse l’humanité, vous avez choisi le moins puéril, la gloire ! Achille prit un glaive au milieu des joyaux de femme qu’on lui présentait ; vous prenez, vous autres, le martyre des nobles ambitions, au lieu de l’argent, des titres et des petites vanités qui charment le vulgaire. Généreux insensés que vous êtes, gouvernez-moi bien tous ces vilains idiots et ne leur épargnez pas les étrivières. Je vais chanter au soleil sur ma branche pendant ce temps-là ! Vous m’écouterez quand vous n’aurez rien de mieux à faire… Bonsoir, mon frère Everard, frère et roi, non en vertu du droit d’aînesse, mais du droit de vertu. Je t’aime de tout mon cœur, et suis de votre majesté, sire, le très humble et très fidèle sujet. »

En tout cela, comme le lecteur le voit, parmi les plaisanteries charmantes, les paroles flatteuses, et une coquetterie toute féminine résonne la même note, la même pensée : je m’incline devant ta personnalité, mais ton œuvre ne me semble être qu’une vanité d’un ordre supérieur ; tu es un ambitieux, tu poursuis un hochet, tandis que moi je suis un poète, libre de tous les futiles attraits humains, loin des bruits du monde, et j’ai atteint le vrai bonheur et le calme au sein de la nature, dans le service de l’art…

Sa seconde lettre du 15 avril confirme tout cela. Michel lui avait posé cinq questions, auxquelles elle répond les unes après les autres. Entre autres elle dit que dans sa lettre de la veille elle avait déjà répondu à la première question d’Everard, à savoir : sur la cause de sa tristesse à lui. S’il est triste, « c’est que travailler pour la gloire est à la fois un rôle d’empereur et un métier de forçat ». Il est vrai qu’elle s’empresse tout de suite de consoler son correspondant en