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et moi, si vous voulez le permettre, je serai votre historiographe ; mais, morbleu ! sire, conduisez-vous bien, car plus votre humble barde augure de vous, plus il en exigera quand vous aurez touché au but, et vous savez qu’il ne sera pas plus facile à faire taire que le barbier du feu roi Midas… »

« Croyez-vous donc que je conteste vos droits ? Oh ! non pas vraiment : nous ne disputerons jamais là-dessus. Certain roi naquit pour être maquignon ; toi, tu es né prince de la terre. Moi-même, pauvre diseur de métaphores, je me sens mal abrité sous le parapluie de la monarchie ; mais je ne veux pas le tenir moi-même, je m’y prendrais mal, et tous les trônes de la terre ne valent pas pour moi une petite fleur au bord d’un lac des Alpes…

« Allez, vous autres, faites la guerre, faites la loi. Tu dis que je ne conclus jamais ; je me soucie bien de conclure quelque chose ! J’irai écrire ton nom et le mien sur le sable de l’Hellespont dans trois mois ; il en restera autant le lendemain, qu’il restera de mes livres après ma mort, et peut-être, hélas ! de tes actions, ô Marius ! après le coup de vent qui ramènera la fortune des Sylla et des Napoléon sur le champ de bataille.

« Ce n’est pas que je déserte ta cause, au moins ; de toutes les causes dont je ne me soucie pas, imberbe que je suis, c’est la plus belle et la plus noble. Je ne conçois même pas que les poètes puissent en avoir une autre, car si tous les mots sont vides, du moins ceux de patrie et de liberté sont harmonieux, tandis que ceux de légitimité et d’obéissance sont grossiers, malsonnants et faits pour des oreilles de gendarmes. On peut flatter un peuple de braves ; mais flatter une tête couronnée, c’est renoncer à sa dignité d’homme. Moi, je fuis le bruit des clameurs humaines et je vais