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en partage, entoure longtemps pour toi d’une auréole de gloire cette couronne d’épines que tu conquerras au prix de la liberté, du bonheur et de la vie. Car pour la philanthropie dont vous avez l’humilité de vous vanter, vous autres réformateurs, je vous demande bien pardon, mais je n’y crois pas. La philanthropie fait des sœurs de charité. L’amour de la gloire est autre chose et produit d’autres destinées. Sublime hypocrite, tais-toi là-dessus avec moi, tu te méconnais en prenant pour le sentiment du devoir la pente rigoureuse et fatale où t’entraîne l’instinct de ta force. Pour moi, je sais que tu n’es pas de ceux qui observent les devoirs, mais de ceux qui les imposent : Tu n’aimes pas les hommes, tu n’es pas leur frère, car tu n’es pas leur égal. Tu es une exception parmi eux, tu es né roi.

« Ah ! voici qui te fâche, mais au fond tu le sais bien, il y a une royauté qui est d’institution divine. Dieu eût départi à tous les hommes une égale dose d’intelligence et de vertu, s’il eût voulu fonder le principe d’égalité parmi eux comme tu l’entends ; mais il fait les grands hommes pour commander aux petits hommes, comme il a fait un cèdre pour protéger l’hysope. L’influence enthousiaste et quasi despotique que tu exerces ici, dans ce milieu de la France, où tout ce qui pense et sent s’incline devant ta supériorité (au point que moi-même, le plus indiscipliné voyou qui ait jamais fait de la vie une école buissonnière, je suis forcé, chaque année, d’aller te rendre hommage), dis-moi, est-ce autre chose qu’une royauté ? Votre Majesté ne peut le nier. Sire, le foulard dont vous vous coiffez en guise de toupet est la couronne des Aquitaines, en attendant que ce soit mieux encore. Votre tribune en plein air est un trône ; Fleury le Gaulois est votre capitaine des gardes ; Planet, votre fou,