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enfants une vieille mère respectable. Si je n’y réussis pas, mon ami, soyez sûr que je ne laisserai pas ma vie traîner à la leur comme un haillon[1]… »

Cette lettre ne fut pas immédiatement envoyée, et le 14 avril, George Sand ajoute la très significative page suivante : « J’ai assez bien passé cette semaine et l’autre. J’ai relu Franklin, j’ai causé avec un vieux ami, qui est sage et heureux, et qui fait aussi ses délices du bonhomme Richard[2]. Et puis j’ai vu un grand ouragan d’hommes politiques, qui ne m’a pas donné envie de faire une cavalcade dans ces idées-là, quoique ce soient de belles idées et des hommes beaux intellectuellement. Je suis contente du calme de mon esprit et du peu de part que je prends aux choses humaines, en ce qu’elles ont de personnel à moi. Le besoin d’appui qui m’a obstinément tourmentée jusqu’ici, se dissipe en présence des individus qui représentent ou qui prétendent représenter des théories. J’aime mieux attendre qu’une conviction quelconque me vienne, que de me la faire entrer dans le cerveau avec du vin de Champagne.

« Bonsoir, mon ami, je ne suis pas gaie, ni fière. J’espère un peu… Ne me dites pas que votre bonheur et votre vertu me feraient pitié si je voyais le fond de ces grands secrets. Dites-moi tout le contraire, quand même vous devriez exagérer un peu. Ah ! si j’étais sûre que la vertu est ce que je l’ai rêvée autrefois, comme j’y retournerais vite ! Moi qui me sens tant de force dont je ne sais que faire !

  1. Ces lignes et celles qui suivent répètent donc presque dans les mêmes termes ce que George Sand dit à Rollinat dans la quatrième Lettre d’un voyageur par rapport aux causes qui la font songer au suicide.
  2. C’est-à-dire le célèbre Almanach du bonhomme Richard, l’œuvre la plus populaire de Benjamin Franklin, qui est comme le code de tous ses enseignements moraux et pratiques. On voit par une lettre inédite de Jules Néraud, que Mme Sand avait lu également la Biographie de Franklin en plusieurs volumes.