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le coupable ? « Il faudrait, au contraire, s’écrier : « Comment, diable, deux individualités si différentes ont-elles pu s’accorder ? N’est-il pas étonnant qu’elles aient pu s’aimer ? Par quel heureux hasard ont-elles pu jouir d’un moment de bonheur, ce bonheur fût-il même empoisonné ? » Et cependant les causes de cette séparation, de ce divorce sont faciles à trouver : elles sont en tout, elles sautent aux yeux.

Lorsque, en particulier, nous passons aux romans vécus de George Sand, nous rencontrons avant tout, à leur égard, du côté de ses biographes et du public, cette étonnante habitude et cette curieuse manière de juger dont nous avons déjà parlé au début de ce livre, — manière de juger dans le sens exact du mot et de condamner. Pour peu qu’il soit question de collisions psychologiques, voire de relations humaines basées sur tel ou tel autre sentiment, aussitôt nous nous transformons en procureurs pour accuser et condamner l’une ou l’autre des parties en cause[1]. Les biographes de George Sand l’absolvent, cela va sans dire ; ceux de Musset et de Chopin la condamnent, cela ne pouvait non plus manquer. C’est toujours un procès qu’on fait ! Et pourtant, à tous les romans réels de George Sand vient justement encore s’ajouter cette circonstance aggravante que l’héroïne elle-même et presque tous les héros, ses favoris, furent de grands hommes, de grands talents, des génies, c’est-à-dire des natures deux fois, cent fois plus individuelles que chacun de nous et tout autrement impressionnables,

  1. Un des biographes de Musset, Lindau, dans les conclusions qu’il tire aux dernières pages de son récit sur le roman entre son héros et George Sand, se prononce très catégoriquement en ce sens : « Deux esprits d’élite se trouvaient en face l’un de l’autre comme deux ennemis en présence. Le verdict, quel qu’il fût, devait douloureusement frapper l’un ou l’autre… »