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vive, facile à exalter, d’un cœur fier et généreux et d’une grande force de caractère. Si ses facultés eussent été bien dirigées dans leur essor, Mattea eût été la plus heureuse enfant du monde, mais Mme Loredana (sa mère), avec son caractère violent, son humeur âcre et querelleuse, son opiniâtreté qui allait jusqu’à la tyrannie, avait sinon gâté, du moins irrité cette belle âme au point de la rendre orgueilleuse obstinée, et même un peu farouche. Il y avait bien en elle un certain reflet de caractère absolu de sa mère, mais adouci par la bonté et l’amour de la justice… Une intelligence élevée qu’elle avait reçue de Dieu seul, et la lecture furtive de quelques romans pendant les heures destinées au sommeil, la rendaient très supérieure à ses parents, quoiqu’elle fût très ignorante et plus simple peut-être qu’une fille élevée dans notre civilisation moderne ne l’est à l’âge de huit ans. Élevée rudement, quoique avec amour et sollicitude, réprimandée et même battue dans son enfance pour les plus légères inadvertances, Mattea avait conçu pour sa mère un sentiment de crainte, qui souvent touchait à l’aversion. Altière et dévorée de rage en recevant ces corrections, elle s’était habituée à les subir dans un sombre silence, refusant héroïquement de supplier son tyran, ou même de paraître sensible à ses outrages. La fureur de la mère était doublée par cette résistance… En grandissant, Mattea avait appelé la prudence au secours de son oppression, et par frayeur, par aversion peut-être, elle s’était habituée à une stricte obéissance et à une muette ponctualité dans sa lutte, mais la conviction qui enchaîne les cœurs s’éloignait du sien chaque jour davantage… Ce qui la révoltait peut-être le plus et à juste titre, c’était que sa mère, au milieu de son despotisme, de ses violences et de ses injustices, se piquât d’une austère dévotion, et la con-